Saint-Lyé
Le château de Saint-Lyé sous l’évêque Pierre d’Arcis
Travaux, ouvriers et salaires : un monde économique au service de l’entretien et de la restauration du château de Saint-Lyé sous l’évêque Pierre d’Arcis (1378-1395)
L’exposition « Les châteaux de l’Aube. 1000 ans d’histoire » [Troyes, Hôtel-Dieu-le-Comte, 6 juin-1er octobre 2023] a mis en valeur, parmi d’autres, le château de Saint-Lyé.
Le château de Saint-Lyé est documenté depuis le XIIe siècle. Construit à proximité de l’église dédié au saint éponyme du village, il est à la propriété de l’évêque de Troyes. C’est notamment en ces lieux que sont célébrées les noces de Louis X le Hutin et Clémence de Hongrie en 1315.
Le document choisi pour représenter cette vie seigneuriale dans l’exposition était le compte temporel de l’année 1391. Un compte temporel est un registre regroupant les recettes, dettes et dépenses en argent et grains des terres de l’évêque, considéré comme le seigneur des lieux, sur un ressort géographique précis. Celui de 1391 est tenu par le receveur Nicolas de Cubry pour l’évêque Pierre d’Arcis. C’est l’un des deux seuls comptes temporels encore conservés aujourd’hui pour l’épiscopat de cet évêque ; l’autre étant celui de 1385 tenu par le gouverneur Nicole Petit.
Compte temporel de la terre et appartenances de l’évêque de Troyes à Saint-Lyé, 1391 (Arch. dép. Aube G 413, fol. 46v-47)
Les ouvriers du château de Saint-Lyé
Les comptes temporels sont d’une très grande richesse. Pour la thématique qui nous intéresse ici, ils renseignent la manière dont l’évêque gère une seigneurie, et notamment la restauration et l’entretien d’un château, avec l’aide de tout un personnel dévoué. Le nom et les salaires versés aux ouvriers dressent une vision économique de cette société.
En effet, bien qu’elle soit incomplète, une liste des salariés œuvrant au château de Saint-Lyé pour l’évêque de Troyes est dressée dans le compte temporel de 1391. Divisée en corps de métier, elle permet de prendre connaissance de la qualification de chacun.
Charpentiers |
||
Nom |
Qualification | Salaire journalier |
Jean de Barberey | 3 sous 4 deniers | |
Henri le Bessel | Charpentier | 3 sous 4 deniers |
Jean le Bessel | Fils d’Henri le Bessel | 3 sous 4 deniers |
Nicolas Marreglier | 3 sous 4 deniers | |
Aubert de Brienne | 3 sous 4 deniers | |
Jaquinot le Coleçon | 3 sous | |
Colinet des Vignes | 3 sous | |
Jean de Vaudes | 3 sous | |
Jean Michau | Valet d’Henri le Bessel | 2 sous 6 deniers |
Félisot Peot | Neveu et valet de Jean de Barberey | 2 sous 6 deniers |
Regnault | Valet de Jean de Barberey | 18 deniers |
Regnault le Coleçon | Frère de Jaquinot le Coleçon et valet de Jean de Barberey | 18 deniers |
Ouvriers de bras |
||
Nom |
Qualification | Salaire journalier |
Regnault Raoul | 2 sous 1 denier | |
Colin Lamie | 2 sous 1 denier | |
Perrin Thévenin | 2 sous 1 denier | |
Jean de Dijon | Minier | 2 sous 1 denier |
Colin Laune | 2 sous 1 denier | |
Robinet le Vion | 20 deniers | |
Jean Raoul | 20 deniers | |
Jaquin le Varleteux | 20 deniers | |
Sançonnot Brissant | 20 deniers |
Quatre catégories de charpentiers se dégagent au regard du métier de chacun et de l’argent gagné en travaillant pour l’évêque : les charpentiers qualifiés sont rémunérés 3 sous 4 deniers par jour. Les charpentiers moins qualifiés ne sont payés que 3 sous par jour. Les valets quant à eux sont rétribués soit 2 sous 6 deniers, soit 18 deniers.
Les ouvriers de bras qui, comme leur qualification l’indique, sont des manutentionnaires, ont un salaire quotidien de 2 sous 1 denier ou 20 deniers.
Bien souvent, en plus de ce salaire en argent, les ouvriers d’un chantier médiéval sont nourris sur place par le maître d’œuvre le jour de leur présence.
Seigneurie de Saint-Lyé, plan d’une partie des environs du château. XVIIIe siècle ? (Arch. dép. Aube, G 843)
La réfection à neuf du pont levis
Une partie du budget annuel est ainsi dédié à l’entretien et à la réparation des bâtiments appartenant à l’évêque. Le registre présenté dans l’exposition était ouvert au folio dédié à la réparation du pont levis du château en 1391. Sa reconstruction totale a occupé sept ouvriers pendant six jours au mois de janvier.
Le premier charpentier, qualifié de maître, Jean de Barberey, travaille régulièrement pour l’évêque. Son salaire journalier est fixé à 3 sous 4 deniers. Les six journées qu’il passe à restaurer le pont levis lui rapporte donc un salaire de 20 sous. Il est aidé de son neveu Félisot Peot et de Regnault le Coleçon.
Carte postale de l’ancien château des évêques de Troyes à Saint-Lyé. S. d. (Arch. dép. Aube, 8 Fi 7199)
La restauration complète de la charpente du pont du pré nouveau
Déjà en 1385, la somme importante de 14 livres 2 sous 5 deniers avait été engagée pour restaurer un autre pont, celui menant au pré nouveau – ce pré d’une superficie de 16 arpents se situant derrière le château. Jean de Barberey est déjà présent sur ce chantier. À cette occasion, il est rétribué 2 gros par jour, l’équivalent de 3 sous 4 deniers. C’est lors de ce travail que l’on découvre les noms d’autres ouvriers, tous charpentiers mais avec des compétences différentes. Nous pouvons dresser un organigramme des qualifications de chacun en étudiant leur salaire journalier : Jean Gilot est rétribué 5 blancs, probablement estimée à 2 sous 1 denier ; la rémunération de Morel est fixée à 2 sous et Jaquinot est payé 16 deniers par jour. Félisot le Gras et Petit Thomas les rejoignent occasionnellement.
Jean Jeubert, un autre charpentier qualifié est aussi présent sur ce chantier avec son valet « le fils Godot ». Même si ces deux ouvriers semblent moins qualifiés que le personnel qui compose l’équipe de Jean de Barberey, leur présence s’avère indispensable. En effet, le scribe du compte estime nécessaire de préciser qu’ils refont « le bout du pont devers les prés ».
Détail du domaine du château de Saint-Lyé. S. d. (Arch. dép. Aube, 1 B 1112)
L’entretien du moulin et des fausses vannes
Le moulin de la ville fait aussi l’objet d’un entretien rigoureux. En 1385, l’ensemble s’affaisse et il faut refaire cet ouvrage d’art. Oudin le Polet et Cothin le minier sont chargés de creuser les remparts des fausses vannes du côté du château dans le but de resserrer les lames de bois entre elles et rendre le tout à nouveau étanche, travail qui les occupe cinq journées entières. Ils sont aidés de cinq autres charpentiers tous aussi qualifiés qu’eux. Jean le Mercier transporte de la nouvelle terre et des pierres qui serviront à Oudin le Polet, Robinet et le fils de Coleçon pour stabiliser le sol. Quant à Arnoul, fils de Jean le Mercier, c’est pendant deux journées qu’il les aide à cette entreprise.
Les ouvriers restaurent les fausses vannes la même année, travail qui coûte 9 livres 4 sous 7 deniers à l’évêque. Jean de Barberey semble être le maître charpentier responsable du chantier car il est le seul à être présent chaque semaine du mois que dure cette opération. C’est lui qui réalise la première étape avec son valet Jaquinot la semaine de la saint Clément consistant à mettre une pièce de bois pour bloquer la descente des fausses vannes. Et c’est plusieurs mois après, au printemps, qu’il continue cette mission. Toute son équipe le rejoint : Morel, Jaquinot, Félisot le Gras, Petit Thomas, mais aussi Jean Gilot, Oudin le Polet et Coleçon le talementier. Au total, la réfection des fausses vannes aura duré six semaines complètes étalées sur six mois et mobilisé 93 journées de neuf professionnels. Le bois utilisé pour refaire ces fausses vannes appartient à l’évêque puisqu’il provient de ses forêts d’Aix-en-Othe.
Six ans plus tard, en août 1391, le moulin et les fausses vannes sont encore au cœur des restaurations. Cette fois-ci, le maître charpentier est Jean le Mercier, chargé de refaire les fausses vannes pendant trois journées avec Morel et Jean de Dijon, un ouvrier de bras. Son salaire journalier étant de 3 sous 4 deniers, il est possible d’en déduire qu’il a la même qualification que Jean de Barberey. Les charpentiers Jaquinot le Coleçon et Henri le Bessel se chargent de remettre deux bras neufs à la roue du moulin ; le premier faisant en plus un palier pour le fer du moulin dont les planches sont issues d’un arbre qu’il a lui-même coupé dans la garenne attenante au château.
L’année 1391 est aussi l’occasion de façonner une deuxième roue, neuve, pour le moulin banal. Une digue est creusée pour l’installer. Félisot Peot et Regnault le Coleçon, valets de Jean de Barberey, fabriquent les aubes de la roue tandis que leur maître taille une roue d’engrenage. Le chantier se termine la semaine de l’Ascension suivante grâce à Jaquinot le Coleçon qui pose le plancher sur les vannes du moulin.
La réfection à neuf des coulis des vannes occasionnent la plus grosse dépense : 219 livres 14 sous et 1 denier obole alors que le bois n’est pas acheté puisqu’il provient des forêts de l’évêque et les ouvriers non nourris sur place : « Pour la despence en deniers faicte pour le dit couliz de la quelle despense les parties sont escriptes en un quantiesme a tachié en la fin de ce compte, non compté le merrien pris en lostel de monseigneur a Troyes de ses garnisons, ne le merrien et trappans amenez daiz, ne aussin les soignemens des charpentiers présent il ont ouvert pour le dit couliz en lostel de mon dit seigneur a Troyes ».
Compte temporel de la terre et appartenances de l’évêque de Troyes à Saint-Lyé, 1385 (Arch. dép. Aube G 412, fol. 21)
Au-delà d’un simple registre comptable, les comptes temporels des évêques de Troyes abondent d’informations sur la société médiévale. Ils nous permettent de retracer une carrière, dresser une généalogie familiale, prendre connaissance des coûts de la vie, des matériaux et de la masse salariale mais, aussi et surtout, de suivre l’évolution des bâtiments au gré des années et des aléas.
Aurélie Gauthier
Décembre 2023
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