La grotte de la Motte-Tilly
La fabrique souterraine du parc du château de la Motte-Tilly n’a jamais été décrite ; aucune archive connue ne livre de documents sur cet énigmatique édifice et sa construction. Aussi, une première description de la fabrique, ainsi qu’une esquisse architecturale et une étude topographique de celle-ci sont- elles proposées. Une analyse des pierres employées, taillées dans des tufs, conduit à poser la question des sites d’extraction de ces matériaux.
Le château de La Motte-Tilly, par sa situation géographique, domine majestueusement la vallée de la Seine. Ne l’appelait-on pas au XVIIIe siècle le château de « belle vue » ? Il est l’œuvre du dernier Contrôleur général des Finances de Louis XV, l’abbé Joseph Marie Terray. La première pierre sera posée le 25 juin 1754 (1).
Si la construction du château est confiée à l’architecte François Nicolas Lancret, par contre nous ne connaissons pas l’auteur des jardins. D’après une gravure et des plans d’origine, le dessin des jardins s’inspire des principes paysagers de l’époque, ceux-là mêmes que Le Nôtre développa quelques années plus tôt à Vaux-le-Vicomte puis à Versailles : aux abords de la demeure, des terrasses dominant les parterres ; plus loin, de hautes futaies ; dans l’axe de la maison, un plan d’eau alimenté par un canal ; enfin, une perspective qui conduit le regard à perte de vue.
Pour bien comprendre le jardin français, il faut se reporter à cette époque qui glorifiait la puissance et le pouvoir… y compris le pouvoir de conquérir la nature.
Au moment où le château se construit, la composition générale du jardin en France évolue vers un jardin plus irrégulier, dit jardin paysager ou anglais. En effet, les Anglais, influencés par Rousseau et les philosophes du XVIIIe siècle, célèbrent la vraie nature. Déjà en 1738, Voltaire, dans son Épitre du Prince royal de Prusse, s’emportait contre cette nature domestiquée.
« Jardins plantés en symétrie
Arbres nains tirés au cordeau…
… Jardins, il faut que je vous fuie,
Trop d’art me révolte et m’ennuie,
J’aime mieux ces vastes forêts,
La nature libre et hardie,
Irrégulière dans ses traits,
S’accorde avec ma fantaisie. »
Comme Coltaire, les Anglais éprouvaient un désgoût profond pour nos jardins rigides et organisés. Pour eux, il fallait plutôt coopérer avec la nature, au lieu de la limiter. Pour en finir avec ce malaise, les Anglais créèrent leur propre style de jardin : c’est un jardin irrégulier, peuplé d’essences rares, avec des allées tortueuse.
Cette nature sera soumise à des rêveries, en la peuplant d’architectures imaginaires, telles les “fabriques”, petites constructions pittoresques. On imagina et on en créa de toutes sortes : tentes turques, pagodes et kiosques chinois, laiteries, tombeaux, pyramides, fausses ruines… Grands seigneurs et financiers rivaliseront dans la création de ces “jardins à fabriques”. L’apothéose sera atteinte sous le règne de Louis XVI par un richissime banquier, Jean Joseph de Laborde, dans son domaine de Méréville.
Antoine Jean Terray, qui avait succédé à son oncle à la tête du domaine, ne restera pas insensible à cette mode. Grâce à la fortune héritée de son père et de son oncle, il entreprend dès 1783, d’importants travaux dans les jardins. De nouveaux arbres sont plantés : pas moins de 35 000 plants de bouleaux et plus de 1 600 houx pour l’année 1788. Des essences rares sont rapportées : cèdres bleus de l’Atlas, pins noirs d’Autriche… Deux petites îles seront aménagées sur le plan d’eau. La vraie nature retrouvait ses droits.
Il manquait à tout cela un de ces jeux d’architecture que le XVIIIe siècle aimait tant. Un petit édifice de tracé circulaire, en forme de rotonde, sera alors aménagé dans une partie du parc. Mi-enfoncé en terre (on y descend par quatorze marches) et mi-saillant au-dessus du sol, à l’instar d’un crypte, cet édifice comporte trois niches en plein cintre. Laissons madame de Maillé nous guider dans cet endroit étonnant.
“L’entrée se présente à la façon d’une ouverture, pratiquée à coup de pioche dans le plus voulu des désordres. A l’évidence on voulait faire croire à la découverte fortuite d’un moment disparu. Entre niches, des pilastres à clef saillante sont décorés de stalactites en forme de larmes. Trois corniches achèvent l’édifice, la première soulignant l’imposte des pilastres, la deuxièmes prolongeant la ligne des chapiteaux et la troisième courant en retrait des deux autres pour diminuer la portée de l’espace à couvrir. un lanternon vitré pratiqué au centre de la petite voûte de pierre, laisse filtrer dans l’édifice un jour avare. Le sol est en terre battue.”
Situation et description de l’édifice
La fabrique se situe à l’angle nord-est du parc, en contrebas du flanc sud de la vallée de la Seine, à un altitude d’environ 70 mètres, et à quelques mètres au-dessu du talweg de celle-ci. Elle a été édifiée à l’entrée d’une carrière souterraine creusée dans l’affleurement de la craie de la base du versant.
On accède par un escalier maçonné d’une quinzaine de marches à la rotonde qui a été implantée à l’ouest du couloir le prolongeant, dans une cavité cylindrique creusée dans la craie sur un diamètre estimé de près de six mètres.
Une esquisse architecturale du monument a été relevée. Quatre niches agrémentent cette rotonde ; l’une d’elles, faussement ruinée, en permet l’accès ; ces niches comportent une banquette correspondant au ressaut de la base de l’édifice ; elles sont encadrées de pilastres à chapiteaux supportant un arc en plein cintre à la clef saillante. Quatre grands pilastres alternent avec les niches ; les pierres des fûts sont ornées de quatre oves effilées à leur base (larmes) et alternées ; les chapiteaux sont inspirés de l’ordre toscan. Deux ressauts ceinturent la base de la coupole : un premier juste au-dessus des niches et un second, orné d’une ligne brisée incisée, au niveau du sommet des chapiteaux des grands pilastres. Vient, au-dessus, une frise ornée de losanges et de rosettes du type cinq que surmonte une corniche composée, de haut en bas, d’une épaisse plate-bande, puis d’une doucine et d’un quart de rond droit ornés d’incisions curvilignes. Sur la corniche repose la coupole surmontée d’un lanternon pourvu d’un oculus assurant l’éclairement de la rotonde.
Les hauteurs selon lesquelles s’ordonnent, d’une part les éléments d’ornementation de la base de la rotonde au sommet de la corniche (5,2 m), et de la base des chapiteaux des pilastres des niches au sommet de la corniches (2,5 m), et d’autre part la coupole et le lanternon (2,3 m) se répartissent sensiblement par tiers, ce qui semble bien traduire la recherche d’un composition harmonieuse de l’édifice.
Les matériaux et leurs sources
Toutes les pierres de l’édifices ont été extraites d’un tuf calcaire de couleur ocre, dit “de Resson” qui a été utilisé dans la région depuis le Moyen Age : chapiteaux au musée de Troyes, portail de l’église de La Saulsotte, certaines fabriques du parc du château de La Chapelle Godefroy. Par contre, les pierres des étroites parois séparant les grands pilastres de ceux des niches ainsi que des ornements de la frise ont été extraites de faciès de tuf plus tendre et blanchâtres.
Le tu de Resson, d’où provient l’essentiel (ou la totalité ?) des matériaux de la fabrique, affleure sur un quarantaine d’hectares, entre le village de La Saulsotte et le hameau de Resson, à quelques kilomètres au nord de Nogent-sur-Seine.
Toutes ces pierres, parfois de dimensions métriques (bases des niches) présentent souvent des moulages de racines de longueurs décimétriques et de diamètres pluri-centimétriques parfois mis en relief au cours de la préparation des parements ; des concrétionnements en forme de stalactites ont été taillés sur les parois de la grotte et notamment en ce qui concerne les bases, les parois entre les chapiteaux des grands pilastres, chapiteaux des pilastres des niches, le bandeau supérieur de la corniche et la coupole ; à la base de l’oculus, on a même imité des stalactites pendants.
Conclusion
Il ressort de ce travail que la fabrique de La Motte-Tilly est l’oeuvre d’un ou de plusieurs maître-d’ouvrage soucieux d’une composition architecturale soigneusement élaborée. Il apparaît que les matériaux ont été manifestement choisis, taillés et travaillés avec l’intention de donner à cet édifice un caractère de grotte naturelle qu’agrémentent les effets du décor architectural et de la lumire.
Franck Gérard
Agent de conservation au château de La Motte-Tilly
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